Manuel Hermia
Brussels Jazz Festival - 21.01
15 u. L'impro dans le viseur - Flagey
River Jazz Festival - 24.01
18u. Hermia/ Ceccaldi/ Darrifourcq - Jazz Station
20u. Belgituroc - Espace Senghor
22u. Manuel Hermia Trio - Théâtre Marni
Manu Hermia
Le fil rouge dans l’œuvre du saxophoniste et flutiste Manuel Hermia est la recherche d’une approche fondée entre les cultures et les styles, tant du point de vue musical que philosophique. Il l’illustre superbement dans le cadre du River Jazz Festival. Le musicien ne fait pas coup double… mais triple. En effet, pour le concert de clôture, il donnera trois concerts dans trois salles différentes avec trois groupes différents. Chapeau bas !
Qui est… Manuel Hermia ?
Manuel Hermia est l’exemple type du musicien polyvalent qui en même temps jette des ponts. Il joue non seulement du saxophone soprano, alto et ténor mais aussi de la flute et du bansuri (grande flute traversière indienne). En plus, ses intérêts et ses activités vont de la musique du monde et du (free) jazz au rock et à une approche plus classique du jazz. Il a aussi composé de la musique pour des spectacles de danse et de cirque. En outre, l’homme est un photographe captivant dont les images témoignent à tous les coups d’une vision très particulière du monde. En attestent ses deux doubles CD, « Le Murmure de l’Orient vol. I & II » (2005, 2012 - Igloo), véritables chefs-d’œuvre soignés dans les moindres détails et accompagnés de photographies et de textes.
Dans les cercles du jazz, il s’est également fait connaître comme un ardent défenseur des droits des musiciens. À l’approche des élections nationales de 2014, il revisite même la Brabançonne (l’hymne national belge) et propose une version haute en couleur avec le soutien d’une trentaine d’acolytes.
Les nouveaux albums du Manuel Hermia Quartet, Slang et du Trio franco-belge Hermia/Ceccaldi/Darrifourcq (la première du CD aura lieu à l’occasion du River Jazz Festival) sortiront dans les tout prochains mois. Rien d’étonnant donc à ce que le River Jazz Festival lui ait demandé d’assurer la clôture avec pas moins de trois concerts en une seule et même soirée.
Quel (le) est…
… votre lieu préféré à Bruxelles ?
Ça, il n’y a pas de doute, c’est le Parc Duden prolongé par le parc de Forest. J’habite juste entre les deux et j’y vais régulièrement me promener ou faire du jogging. Et bien que je sois un citadin pur et dur, j’aime malgré tout disposer d’espaces verts dans mon environnement. Ils procurent une dimension supplémentaire à la vie en ville. Pour moi, c’est avant tout un endroit où je peux me ressourcer sans pour autant parler de véritable source d’inspiration directe. En tant que compositeur, je n’ai pas de plan de travail fixe ou je ne me tiens pas à une discipline particulière. L’inspiration pour de nouveaux morceaux me vient aux moments les plus inattendus. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai toujours mon iPhone sous la main. Une fois par an, je réécoute ce que j’y ai sauvegardé et je répertorie les idées qui pourront me servir dans des classeurs par groupe. Je m’en sers ensuite comme base de travail et je supprime tout ce qui me paraît vraiment inexploitable.
… votre plus beau souvenir d’un concert dans les trois salles où vous vous produirez ce 24 janvier ?
Au Marni l’année dernière, j’ai vu en concert le trio de Jean-Paul Estiévenart. C’est un des meilleurs spectacles auxquels j’ai jamais assisté ! Ce jour-là, accompagné du batteur Antoine Pierre et du bassiste Sam Gerstmans, il a réussi à faire honneur à la tradition du jazz tout en exploitant toutes les latitudes possibles et imaginables. Pour réaliser ce tour de force dans un seul et même répertoire, il faut être un très grand musicien. Cette interaction et cette musicalité étaient du plus haut niveau. Comme quoi, il ne faut pas toujours se rendre à New York pour vivre des concerts de classe mondiale.
À l’Espace Senghor, je me souviens surtout du concert de Majid Bekkas et de son projet Makenba avec Minino Garay et Louis Sclavis : trois musiciens qui sont eux aussi ouverts à toutes sortes d’influences et les exploitent au mieux. L’Espace Senghor propose une affiche alléchante dans ce domaine.
À la Jazzstation, la jam session des Lundis d’Hortense qui marque l’ouverture de la saison, est à chaque fois un événement particulièrement festif. C’est une occasion unique de partager la scène avec de nombreux collègues avec pour résultat, des associations inattendues ou pour le moins, surprenantes.
… le dernier CD ou album que vous vous êtes offert ?
Là, je me dois de vous donner une réponse de Normand. En effet, je suis un fan assidu de CD, j’en achète donc énormément. Mais pour des raisons diverses, j’ai pris un abonnement payant à Spotify, il y a de cela deux mois. En fait, je siège au conseil d’administration de la SABAM depuis un an. Nous y parlons souvent de Spotify et pour pouvoir participer aux discussions, je voulais savoir de quoi il s’agissait et comment cela fonctionne. Il y a encore pas mal de zones d’ombre en ce qui concerne les droits d’auteur.
Par ailleurs, Spotify est une tout autre manière d’écouter de la musique. J’appartiens à la génération qui voit un album comme un tout. Mais il semblerait que cette conception soit complètement dépassée. À l’heure actuelle, les gens écoutent de plus en plus des morceaux choisis. Dans les domaines du rock et de la pop, il est courant que les artistes sortent un nouveau disque tous les x mois pour rester dans l’actualité. Côté jazz, vous enregistrez un album et puis, vous vous en servez pour faire des tournées pendant deux ans, si tout va bien. C’est une véritable révolution.
L’autre raison pour laquelle je me suis récemment abonné à Spotify, est que je donne cours au conservatoire. Il arrive que les élèves fassent référence à des musiciens ou à des morceaux dans des registres à ce point variés qu’il est impossible pour moi de tout connaître. Souvent, Spotify me sauve la donne, mieux que ne le ferait YouTube. Résultat des courses : ces deux derniers mois, je n’ai plus acheté de CD. Ce que je fais maintenant, c’est d’écouter des morceaux choisis par artiste. Pour l’instant, je suis à fond dans ma phase Chris Potter. La manière dont ce type assimile le travail de Coltrane, Rollins et Becker pour produire un son bien à lui, est tout simplement fabuleux. Le jazz ne cesse d’évoluer et il est de plus en plus difficile de tout intégrer dans votre propre style, mais Potter lui, y arrive avec brio. Joshua Redman est aussi un musicien de cette trempe.
… votre expression favorite du moment ?
Toute ma vie, j’ai détesté le mot « discipline ». Pour moi, ce mot me fait automatiquement penser à l’armée et à des structures similaires. Toutefois, Henry Miller a écrit dans Sexus que « le but de la discipline est de promouvoir la liberté » (« the purpose of discipline is to promote freedom »). Cela se vérifie en tout cas dans le jazz. Il vous faut en effet une sacré dose d’autodiscipline pour vous exercer tous les jours afin d’avoir, une fois sur scène, les moyens nécessaires de jouer le plus librement possible. Ainsi, la discipline se dote à mon sens d’une acception positive parce qu’elle a trait au moi. Personne d’autre n’est là pour vous taper sur les doigts.
J’aimerais en outre y ajouter le principe chinois du Tao, essentiellement repris dans une collection de quatre-vingt petits poèmes à profonde connotation philosophique. Par exemple : « Ne rivalisant point, il n’a pas de rival ».